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Vendredi 27 mai, moment d’échange avec Philippe Herbet, écrivain et photographe

  • Posted on: 05, 31, 2022
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Philippe Herbet est en résidence à la maison-phare de l’île Wrac’h depuis le 16 mai. Il est écrivain et photographe.  Ses dernières publications sont « Fils de prolétaire » (éditions Alrléa) –  et « Herbet Dadas » (éditions du Caïd, 2021).

Lors de la rencontre avec les adhérents de ÎPPA le vendredi 27 mai, Philippe a raconté l’expérience qui l’a conduit à écrire Herbet Dadas.  Il a eu la gentillesse de partager le texte ci-dessous qui décrit cette aventure artistique.


HERBET DADAS

  • Quels sont vos moyens d’existence ?
  • Nombreux, Monsieur le Commissaire, je voyage beaucoup ; quand j’ai de l’argent, je m’en sers ; quand je n’en ai pas, j’en demande ; quand on ne m’en donne pas, je meurs de faim.

La France et l’Europe de la fin du XIXe siècle sont obsédées par la question du vagabondage, par les sans-papiers qui errent d’une ville à l’autre. La fugue devient un trouble médical avec un diagnostic précis. Albert Dadas (1860 – 1907) est l’une des premières personnes atteintes d’automatisme ambulatoire, aussi nommée « dromomanie ». Son médecin, le docteur Philippe Tissier va poser le diagnostic de sa folie dans sa thèse intitulée « les aliénés voyageurs ». 

Albert Dadas, un modeste employé du gaz à Bordeaux, va fuguer durant des périodes qui dureront de plusieurs jours à plusieurs années, en perdant à la fois ses papiers et son identité, mais jamais sa pulsion de partir, de marcher, de découvrir. 

Je me suis attaché à ce personnage, nous avons des points communs, un traumatisme crânien, une mémoire défaillante, de grands maux de tête, nous pleurons vite, des poussées mélancoliques, le goût du voyage et des grands espaces, l’errance à tout prix, l’attirance pour le nord-est, le sens de la propreté vestimentaire, un rapport spécifique à Liège, le besoin irrésistible d’aller dans une ville dont le nom nous plaît, etc. 

Aussi, j’ai très vite pris conscience de la nécessité de réaliser un double projet lié à sa grande fugue de 1880 /1882. Elle l’a mené de Valenciennes à Moscou en passant par Liège, Cologne, Würzburg, Regensburg, Linz, Vienne, Prague, Berlin, Varsovie, Minsk. À Moscou, il est soupçonné d’être un anarchiste et emprisonné avant d’être expulsé de Russie à la frontière de l’Empire Ottoman avec d’autres prisonniers. Il arrive à Istanbul dans un piètre état, galeux, avant, une fois guéri, de retourner à Vienne, Munich, Strasbourg pour se rendre en Suisse. Sans doute épuisé ou lassé de ses aventures, il se constitue prisonnier auprès du consulat de France de Bâle. Renvoyé à Lille, il sera condamné à trois ans de travaux publics pour désertion avec effets et armes. « Je suis parti parce que mes camarades me faisaient trop de misères », avait-il déclaré lors de son interrogatoire (combien de fois n’ai-je pas eu cette idée les dimanches soirs lors de mes années au collège et, ensuite, lors de mon service militaire et encore plus tard lorsque j’ai eu un emploi régulier pendant onze années). J’ajoute que j’aime l’idée de refaire le parcours d’un homme modeste. 

Il y a trois « entités » dans cette histoire : lui (il), moi (je) et lui et moi (nous), aussi dans ce récit je voudrais glisser de l’une à l’autre en fonction de ce que je ressens durant le voyage. Il s’agit également de voyager dans le temps, de traverser les frontières qui, elles aussi, se sont déplacées, d’évoquer un hors-temps où tous les temps se conjuguent. Le décalage entre les époques me semble aussi captivant dans cette quête désespérée d’Albert, de le trouver, de le faire vivre, d’être lui. 

Il s’agit de morceler les voyages d’Albert, de parcourir ces fragments de fugue dans le désordre, au hasard. Peut-être est-ce la meilleure méthode pour voyager dans le temps, dans les spirales du temps, parvenir à ces limites où les cloisons du temps sont si ténues qu’il serait possible de les franchir ou, au moins, sentir le temps passé, établir un contact presque physique avec Dadas. Le docteur Tissier dit que la mémoire d’Albert ressemblerait assez à une plaque photographique dont certaines parties seraient floues, tandis que d’autres seraient bien venues.

S’il y a un travail de recherche, je prends également beaucoup de liberté par rapport aux pérégrinations d’Albert, car je ne possède pas toutes les informations sur son trajet et je m’en voudrais de construire un travail documentaire ou scientifique, encore moins une biographie, ce qui n’est pas mon propos. Dans cette expérience, outre l’écriture, je prends aussi des photographies où je suis le fantôme de Dadas et il est le mien, je suis dans le cadre, à la fois son acteur et le mien. Grâce à des temps de pause longs, de 30 secondes à plusieurs minutes, je capte des moments où la durée s’inscrit sur les pixels du capteur. À travers des mises en scène, nous nous incarnons donc, lui et moi, dans un hors temps universel. Des autoportraits, mais pas au sens strict, ce n’est à la fois ni moi ni lui. Ce sont nos apparitions ou nos disparitions. La disparition de soi est une problématique contemporaine étudiée par le sociologue David Le Breton dans son essai « Disparaître de soi ». C’est également ma tentation.

Le récit commence à Liège où je me rends à une séance de spiritisme pour dialoguer avec Dadas, ensuite je vais à Vienne. Pendant le trajet en train, je me remémore la marche que j’avais faite entre Liège et la frontière autrichienne, comment j’avais eu connaissance de l’existence d’Albert. Ensuite, je poursuis le trajet d’Albert où passé et présent se mêlent, jusqu’à la fin de sa cavale à Bâle.

Philippe Herbet

le livre Herbet Dadas réunissant toute cette histoire et les photographies a été publié par les éditions du Caïd en 2021 https://editionsducaid.com/fr-fr/products/dadas-philippe-herbet